Deux.

CHAOS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre Deux :

Ligne 6

« Arrêtes de jouer aux échecs avec la vie.

Prends tes décisions par amour, non par peur.  »

 

 

 

 

 

 

Cela se produisit le 8 février 2013, jour de congé de Jinhwan. Séoul étant arrosée d'une pluie abondante depuis le milieu de la nuit il fut autant incapable de dormir que de sortir. L'orage faisait aboyer les chiens et pleurer les enfants. Le vent frappait violemment les fenêtres. Personne n'osait sortir.

Aux alentours de midi, alors qu'il était en boxer dans sa cuisine, réfléchissant à ce qu'il allait se cuisiner, son téléphone se mit à vibrer sur le plan de travail, à quelques centimètres de lui. Il sursauta violemment avant d'empoigner le smartphone, une main sur le cœur. Le numéro était inconnu, il hésita un moment avant de décrocher et lancer un lasse :

  • Oui, allô ?!

  • Allô, Monsieur Kim Jinhwan ?

C'était une femme qu'il ne connaissait pas, il roula des yeux en s'appuyant contre le plan de travail. Ca lui arrivait souvent d'appeler des gens et de leur demander leur prénom ?

  • C'est moi.

  • Vous êtes monsieur Kim Jinhwan ?

  • Si je vous le dis.

  • Je suis le docteure Choi Sumni, de l'hôpital Soon Chun Hyang. Je suis désolée de vous apprendre que votre sœur a été victime d'une violente agression dans le métro en direction de Itaewon.

  • Attendez, comment ça une violente agression dans le métro ? Qu'est-ce que vous voulez dire ?!

Jinhwan senti son cœur frapper sa poitrine, ses jambes se mettant à trembler doucement. Il se retint au comptoir en fermant les yeux, essayant de comprendre.

  • Il y a eu une attaque sur le trajet et votre sœur à gravement été touchée. Vos parents sont là, ils m'ont demandé de vous contacter pour que vous les rejoigniez. Vous devriez venir au plus vite monsieur Kim, votre sœur a besoin de vous.

Choi Sumni lui expliqua d'une voix douce et professionnelle que l'état de Seiyeon été préoccupant et qu'il été préférable que toute sa famille soit autour d'elle. Le docteure Choi insista une nouvelle fois, Jinhwan devait se rendre à l'hôpital pour qu'ils en parlent de vive voix. Avant qu'il ne raccroche elle lui indiqua qu'elle ne pouvait rien lui promettre, mais Jinhwan ne l'écoutait déjà plus.

Le regard noir il serra et desserra les poings, faisant les cent pas dans son appartement. Il enfila rapidement un jean, un t-shirt et un sweat. Il oublia l'idée de prendre sa Rocket et parti en direction de la station de métro de Hyochang Park. Il n'arrêtait pas de serrer et desserrer ses poings, le regard fixe et noir. Il ne savait pas qui avait blessé sa sœur, mais qui que ce soit il se jura de lui faire passer un sale quart d'heure.

Le 110B tarda à arriver, bien évidemment. Mais quand il arriva Jinhwan se trouva une place assise à côté d'une grand-mère qui lui fit un léger sourire, malheureusement pour elle il n'était pas d'humeur a entamer la conversation avec une grand-mère. Il se mit à taper du pied, transpirant à grosses gouttes tant il stressait. Pourquoi le docteur ne semblait pas bien ? Pourquoi lui avait-elle dit qu'elle ne pouvait rien lui promettre ? La vie de Seiyeon était-elle en jeu ?

Onze arrêts plus tard il bondit sur ses pieds et quitta la station de métro en courant, bousculant quelques passants. Il s'excusa brièvement et continua sa route jusque l'hôpital universitaire. Il voulait être au plus vite au chevet de sa sœur, il voulait être la première personne qu'elle verrait. Une fois arrivée dans l'hôpital il observa le grand hall qui s'offrait à lui : des patients à l'air déprimé, des secrétaires peu passionnées par leur métier, quelques médecins pressés et des infirmières entrant et sortant des différentes salles. L'odeur de désinfectant et vieillesse embaumait l'endroit.

  • Vous êtes Kim Jinhwan ?

Il fit volte-face pour se retrouver face à une femme d'une quarantaine d'année, légèrement plus petite que lui avec un carré noir et d'épaisse lunettes de vue. Si ses yeux avaient une douce expression son sourire était aussi froid que la météo du jour. Il hocha la tête en la regardant.

  • Venez avec moi.

Sans ajouter un mot elle l'emmena dans les couloirs, lui faisant longer ce labyrinthe de murs blancs et angoissants. Ils finirent dans un ascenseur qui les conduisirent jusque à l'étage des urgences. Là l'atmosphère devint encore plus lourde, mais d'une manière différente. Les infirmiers et médecins couraient dans tous les sens, il y avait des patients sur des brancards dans les couloirs, quelques pleurs, des familles pleines de douleurs face à un médecin gêné et triste. Jinhwan devinait la mauvaise nouvelle. Un pincement au cœur il continua de suivre le docteur Choi jusqu'à ce qu'elle ne s'arrête dans l'angle d'un couloir, elle tourna alors son regard vers lui.

  • Votre sœur est toujours au bloc opératoire, nous faisons ce que nous pouvons pour la maintenir en vie mais ses blessures ont été trop profondes pour que nous puissions vous affirmer qu'elle s'en remettra. Vous … vous devriez rejoindre vos parents, nous vous tiendront au courant au plus vite.

  • Docteure ! Fit Jinhwan avant qu'elle ne s'en aille. Qui a fait ça ?

  • Nous ne savons pas, la police est en train d'enquêter sur les lieux de l'agression. Nous allons faire de notre mieux, et la police aussi, je vous le promet.

Elle repartie après un sourire rempli de compassion. Jinhwan serra à nouveau les poings en soupirant. Il tourna la tête vers la gauche pour voir ses parents l'un contre l'autre. Sa mère tenait une peluche entre ses mains qu'elle avait plaqué contre son visage. La peluche qu'utilisait Seiyeon quand elle était encore enfant. Son père, lui, avait entouré sa femme de ses bras et lui embrassait de temps à autre le cou ou le crâne. Il observa ses parents un instant puis tourna les talons pour rejoindre la machine à café. Il surprit quelques visages se tourner vers lui, il ne savait pas pourquoi ces gens s'attardaient sur sa personne. Il les ignora simplement et attendit le bruit infernal de la machine faisant couler son café. Pour éviter de trop penser il se concentra sur le café qui coulait de la machine ronronnant mais son esprit se mit rapidement à divaguer. Une fois son café prêt il se saisit du verre en carton quand il vit une silhouette familière se poster à sa droite. Il dû lever les yeux pour croiser deux orbes aussi froides que de la glace.

  • Où est-elle ? Demanda l'inconnu d'une voix caverneuse. Où est Seiyeon ?

  • Bonjour à vous aussi, merci de vous inquiétez pour elle, ironisa Jinhwan tournant son café sans lâcher du regard l'héritier inconnu, toujours entièrement vêtu de noir.

Ils ne se lâchèrent pas du regard un moment, les yeux de l'héritier visiblement traversés par un souvenir qui le fit légèrement sourire. Le mordant de Jinhwan avait traversé sa glace.

  • Pardon, bonjour à toi aussi. Je suis un ami de Seiyeon et j'ai appris qu'elle avait été agressée.

  • Vous êtes un ami de ma sœur ? Depuis quand ? Et si vous l'êtes, pourquoi ne m'a-t-elle jamais parlé de vous et pourquoi vous ne vous êtes pas salué hier lorsque nous étions au restaurant ?

  • À vrai dire Seiyeon ne voulait pas que tu saches que nous nous connaissions, pour une obscure raison j'imagine. Mais si tu veux tout savoir, nous nous connaissons depuis deux ans environ.

  • Je ne vous crois pas, fit Jinhwan en croisant les bras, son café posé à côté de lui.

Le garçon, habillé entièrement de vêtement luxueux, fouilla dans la poche de son pantalon en laine noire avant d'en sortir un smartphone dernière génération dans lequel il se mit à fouiller. Quelques secondes plus tard il pointa l'écran vers Jinhwan qui put voir sa sœur rire à côté du garçon qui lui, était toujours aussi impassible. Plusieurs photos défilèrent, elle semblait heureuse à ses côtés. Lui ? Eh bien, il était vivant.

  • Merde alors, laissa-t-il échapper.

Jinhwan devina que son interlocuteur n'aimait pas bien les grossièretés puisqu'il fronça les sourcils sans rien dire tout en rangeant son téléphone. Lorsqu'il reposa son regard sur Jinhwan il lui proposa d'aller s'asseoir dans un coin pour discuter. Ils s'installèrent sur deux chaises en ligne contre le mur, éloigné des autres patients dont certains devaient accompagnés le garçon. Jinhwan se doutait bien que celui-ci n'était pas venu seul. Mais son regard fut capté par l'écran télévisé qui retranscrivait la chaîne d'informations en continue dont les caméras se trouvaient sur la Ligne 6, du côté d'Itaewon.

  • Tu ne sais pas ce qu'il s'est passé, n'est-ce pas ? C'est étonnant, toutes les chaînes en parlent depuis ce matin, fit le garçon en croisant les jambes.

  • Je ne regarde pas les infos, justement pour ne pas voir ça.

  • Je comprends. C'est pas génial comme nouvelles.

  • Est-ce que … je peux vous tutoyer ?

  • J'ai à peine trois ans de plus, je ne suis pas assez vieux pour que tu me vouvoie.

  • Très bien, sourit faiblement Jinhwan. Est-ce que tu en sais plus que moi sur ce qu'il s'est passé ?

  • C'est difficile d'en savoir moins en tout cas, répondit-il d'un tact qui pinça le cœur de Jinhwan. Mais je dois être celui qui en sait le plus, si tu veux tout savoir.

Il se tourna alors légèrement vers Jinhwan, ses eux toujours aussi froids et dénués de toutes émotions. Avait-il de l'inquiétude ou même de la peine pour Seiyeon ? S'il était vraiment son ami, ne devrait-il pas se sentir mal ? Jinhwan effaça ces pensées de son esprit et patienta quelques secondes avant que son interlocuteur n'ouvre à nouveau la bouche pour parler.

  • Les médecins, policiers et journalistes pourront dire ce qu'ils veulent pour cacher la vérité, ce n'est pas un accident. Cette ligne était spécialement visée, Seiyeon également et je pense qu'elle le savait.

  • Qu'est-ce que tu veux dire ?

  • Que ta sœur savait qu'elle subirait une attaque.

  • Mais pourquoi ? Je ne comprends rien.

  • Parce que c'est comme ça que le monde marche ! Tu ne peux pas mener ta vie tranquillement sans que personne ne vienne t'ennuyer d'une quelconque manière. Ta sœur a subi de nombreuses attaques ces deux dernières années, elle a survécu à chacune d'elles en devenant plus forte. Mais je pense que cette fois, elle n'a rien fait pour se défendre car elle savait qu'elle avait dores et déjà perdu.

Jinhwan avait envie de tuer ce garçon. Comment pouvait-il parler de sa sœur de la sorte ? Comme si elle était déjà morte ? Elle ne l'était pas, elle s'en sortirait ! La médecine moderne arriverait à la soigner, le docteur Choi lui avait promis ! Devant l'air choqué de Jinhwan, le garçon reprit :

  • Elle m'a laissé une lettre pour toi, je devrais te la remettre plus tard. Non, pas maintenant, ajoute-t-il en voyant le regard de Jinhwan. Tu sais, t'étais pas mal son sujet de conversation préféré.

Jinhwan but une gorgée de son café, grimaçant face à la température de celui-ci qui été devenu froid. Il ne comprenait pas pourquoi Seiyeon ne lui avait rien dit concernant sa relation avec ce garçon dont il ne connaissait toujours pas le nom. C'était comme si elle avait des choses à cacher, était-ce le cas ? Le bon côté des choses, c'est que parler à quelqu'un lui faisait du bien même si la conversation n'était pas des meilleures. Il s'angoissait moins, ses sueurs s'étaient calmées et il regardait bien moins les portes qui s'ouvraient et se fermaient. Mais l'incompréhension l'envahissait. Pourquoi devait-il attendre autant de temps ? Pourquoi Seiyeon lui avait caché son amitié avec ce garçon ? Pourquoi et comment savait-elle qu'elle serait attaquée cette nuit-là ? Est-ce que cela expliquait son comportement au moment de se dire au revoir : le long câlin qu'elle lui avait offert ainsi que le baiser et la déclaration d'amour. Jinhwan se mit à nouveau à taper du pied, de grosses gouttes quittant son cuire chevelu pour glisser sur ses tempes.

Il vit alors le docteur Choi sortir d'une cage d'escalier en compagnie d'un chirurgien dont le masque se trouvait sur le front. Jinhwan les observa, aux aguets. Il était prêt à bondir sur eux pour entendre la nouvelle mais son voisin de gauche l'invita à patienter, ils viendraient d'eux-mêmes. Les deux médecins discutèrent quelques secondes avant de hocher la tête respectivement et se séparer. Le chirurgien partait à droite, le docteur Choi venait dans leur direction. Elle avait la mine basse, le cœur de Jinhwan se mit à battre bien plus fort et sans aucun contrôle il serra ses doigts autour du poignet de l'inconnu qui ne le repoussa pas.

  • Nous avons fait tout ce que nous pouvions Jinhwan, lui dit le médecin en gardant un air solennelle. Sa maladie a été plus rapide que nous et elle s'est éteinte. Nous n'avons rien pu faire. Je suis désolée.

Jinhwan tomba sur la chaise, le regard vide. Sa chute atteignit un nouvel échelon et celui-ci fut violent. Il sentait son cœur et son estomac se comprimer comme si on les frappait à grand coup de batte. Il savait que le docteur Choi était reparti, que l'inconnu essayait de lui parler. Mais il entendait plus rien. Au bout de quelques secondes il se releva et quitta la salle d'attente sans même aller voir ses parents. Il quitta ensuite l'hôpital et ne put se retenir de vomir tout ce qu'il avait mangé, ses larmes roulant sur ses joues aussi lourdes et douloureuses que cette nouvelle.


 

*


 

Les trois jours suivants se ressemblèrent : enfermé dans son appartement il n'acceptait les appels et les visites de personne. Il restait là à contempler la pluie qui continuait de se déverser sur la ville, ne dormant plus, ne mangeant plus. La chaîne d'informations tournait 24H/24 et il écoutait tout ce que disaient les journalistes concernant l'attaque de la Ligne 6. Ils parlaient de l'assaut à l'arme blanche dans le wagon, du massacre fait sur les passagers de ce wagon avant qu'ils ne le fassent exploser, tuant ainsi une quinzaine de personnes sur le coup et en n'en blessant une trentaine dont dix-huit mourront dans les heures suivantes. Il ne comprenait pas.

Bang Yongguk, ledit ami de Seiyeon, lui avait donné l'enveloppe transmise par sa sœur, mais celle-ci lui avait donné l'obligation de ne pas la lire avant son enterrement. Quatre jours avant l'enterrement il se retrouva chez lui avec Junhoe qui attendait qu'il termine sa valise. En tant que seul fils de la famille, il avait été désigné comme maître de cérémonie pour l'enterrement. Il avait dû donc tout organiser avec l'entreprise de pompes funèbres qu'il avait contacté à Jeju, là où aurait lieu l'enterrement et là où ils se préparaient à aller.

Les garçons avaient rapidement été tenu au courant de la situation et tous avaient répondu présents pour soutenir Jinhwan dans cette épreuve et l'accompagner sur son île natale. Même Hanbin qui passait toutes ses journées aux côtés de Jiwon délaissait son petit-ami trois jours le temps du deuil ainsi que l'enterrement. Ils se retrouveraient tous à l'aéroport pour prendre l'avion et rejoindre l'île. Bang Yongguk lui avait proposé un voyage plus luxueux à bord d'un catamaran, mais Jinhwan avait refusé. Il n'allait pas à Jeju pour une croisière, il allait enterrer sa sœur.

Il n'avait pas envie. Il ne voulait pas porter le costume noir du deuil, il ne voulait pas voir tous ces gens et avoir l'obligation de leur parler. Il n'avait aucune envie d'être le maître de cérémonie. Il boudait cette tradition coréenne.

Quand ils arrivèrent à l'aéroport, ils trouvèrent deux taxis prêts à les mener à leur hôtel. Le trajet se fit en silence pour Jinhwan, il écoutait Junhoe être aussi bruyant qu'à son habitude, soufflant de temps à autres. Puis ils arrivèrent à l'hôtel et rejoignirent rapidement leurs chambres respectives. Jinhwan partageait la sienne avec Junhoe. Leurs valises défaites et leurs affaires rangées ils quittèrent la chambre pour rejoindre leurs amis qui se trouvaient déjà au bord de plage, jouant sur le sable. Jinhwan qui n'était pas d'humeur à jouer mais plutôt à être seul, délaissa ses compagnons pour longer la plage avec pour seule compagnie ses pensées.

Il observait l'horizon et les mouettes, les nuages et les vagues. L'hiver, la plage n'était pas l'endroit le plus prisé de l'île alors il n'y avait pas d'enfant aussi joueur que ses ami, pas de parasol, personne dans l'eau. Il croisa quelques promeneurs et des photographes, rien de plus.

Il se demandait encore ce qu'il avait bien pu se passer pour qu'une telle chose arrive. Il ne comprenait pas. Sa sœur était angélique, elle n'avait jamais rien fait qui ne mérite un tel châtiment. Alors pourquoi se faire battre à mort avant de subir une explosion ? Durant cette longue période pendant laquelle ils ne se donnèrent plus beaucoup de nouvelles, Seiyeon avait-elle fait des choses si horribles que lui donner la mort était la seule solution ? Impossible, c'était un ange. Et puis, quelles choses horribles méritaient cette solution ? Ce n'était pas une tueuse à gage tout de même. Jinhwan se laissa finalement tomber sur le sable et continua d'observer l'horizon.

Est-ce que maintenant elle se sentait mieux ? Est-ce qu'elle était bien, là où elle était ? La connaissant, elle devait certainement être en train de penser à quel point il était pitoyable comme ça. Seul à pleurer sur la plage. Tellement cliché. Il l'imaginait assise sur un nuage, une sucette dans la bouche, deux chignons sur la tête et un de ses hauts trop larges qu'elle aimait tant. Elle écoutait probablement Fantastic Baby ou bien Blue de BigBang. Elle qui rêvait tant d'un jour les voir en concert.

Après plus de deux heures de solitude sur la plage de Hamdeok il se redressa, retira le sable qui s'était infiltré sur ses vêtements et dans ses cheveux puis rebroussa son chemin jusqu'à l'hôtel. Le sable était froid sous ses pieds nus, chaussures en main il avançait, nonchalant, toute la misère du monde sur les épaules. N'importe qui le croisait comprenait : Kim Jinhwan était un jeune-homme malheureux, remplis de démons. Tout le monde avait des démons. Mais jusqu'à quel point seraient-ils supportables ?

Quand il arriva au niveau de l'hôtel, il vit tous ses amis assit sur les canapés du salon extérieur, un feu les réchauffant. Il les observait de loin, un sourire en coin sur le visage. Il aimerait lui aussi pouvoir rire comme Yunhyeong le faisait ou bien ne serait-ce que pouffer comme Hanbin réussissait de plus en plus à le faire depuis décembre. Il les observa, se remémorant à quel point ils pouvaient être courageux et exemplaires. Hanbin, qui n'avait que dix-sept ans, devait vivre en sachant que l'homme qu'il aimait le plus au monde ne se réveillerait peut-être jamais. Donghyuk, lui, devait supporter la mémoire de sa petite-amie battue par son père et son meilleur ami dans le coma. Tous vivaient l'inconscience de Jiwon avec difficultés et douleurs. Et pourtant, ils étaient tous les cinq autour d'un feu à rire ensembles comme si rien de grave n'arrivait.

Il dû rester un moment ainsi, peut-être dix minutes, ou bien vingt. Le seul moment où il quitta ses amis du regard fut quand la porte de la terrasse s'ouvrit sur une silhouette qu'il commençait à connaître. Il le reconnu aussitôt grâce à sa démarche confiante. Il avait enfilé un sweat légèrement trop large, toujours noir, et dans lequel il semblait aussi confortable que possible. Il le suivit du regard jusqu'à ce qu'il ne lui passe à côté pour aller s'installer sur le sable, quelques mètres plus loin. Leur regard se croisèrent à nouveau le temps d'une salutation. Jinhwan fut presque choqué de voir une expression radieuse sur son visage. Depuis quand Yongguk souriait-il ?


 

*


 

Le premier jour de deuil fût sans doute la journée la plus compliquée pour Jinhwan. Dans la tradition coréenne, le premier jour de deuil est celui où le corps du défunt est transporté jusque la maison funéraire où ont lieu les 72 heures de deuil. Là, une chambre funéraire est réservée avec une première pièce où se trouve l'autel du défunt. Sur cet autel, une grande photographie de Seiyeon fut installée, entourée de rubans noirs ainsi que de Gouk-Hoa (des compositions florales blanches) ainsi que de l'encens et quelques fruits.

La seconde pièce est réservée aux amis, collègues de travail, qui pourront se restaurer après avoir présenter leur respect à Seiyeon. De là où il se trouvait, soit dans un coin de la pièce où se trouvait l'autel, Jinhwan les voyait tous venir allumer un encens avant de s'agenouiller deux fois pour les deux jeol traditionnels. Lorsqu'ils se relevèrent, ils s'agenouillaient à nouveau devant Jinhwan et ses parents avant de s'incliner à 45° et quitter la pièce. Toute cette mascarade était fatigante pour Jinhwan, il avait croisé des gens qu'ils ne connaissaient pas, la plupart arrivant en même temps que Yongguk. La plupart étaient des hommes tatoués ou balafrés, plus ou moins intimidants. Il y avait aussi quelques femmes bien apprêtées et le peu de famille qu'ils avaient.

Quand il le put, Jinhwan quitta cette pièce pour rejoindre la seconde chambre et s'asseoir avec ses amis afin de manger quelque chose et boire du soju. L'atmosphère dans la pièce était étrange. Ils étaient tous les six dans un coin tandis qu'une armée d'hommes se trouvaient au fond de la pièce, les trois tables leur étant réservées présidées par Yongguk qui semblait avoir une certaine autorité sur les autres bien qu'il soit plus jeunes qu'eux. Il y en avait même un qui se tenait droit dans l'allée entre les tables, observant la pièce d'un œil soupçonneux. Jinhwan fut étonné de voir Kim Kiji à la table de Yongguk. Malgré son apparence bien plus intimidante que les autres de part son corps frêle et ses nombreux tatouages d'un noir profond, le serveur du Bistrot de Gianni semblait plus affecté que les autres.

  • Tu connais ces types ? Demanda Hanbin après un second verre de soju.

  • Seulement deux, et pas très bien, répondit Jinhwan sans lâcher la table de Yongguk du regard.

  • Moi, ils me terrifient, indiqua Donghyuk dans un frisson.

  • Ils ont des têtes de truands avec leurs cicatrices et leurs tatouages, commenta Yunhyeong. Imaginez ceux sont des gangsters.

  • Ne sois pas ridicule, pourquoi ma sœur se serait-elle retrouvée dans un gang ?

  • Tu sais pas, pis je te rappelle que vous avez perdu contact un long moment.

  • Tu dis n'importe quoi.

Sa voix n'était pas aussi sereine qu'il l'aurait souhaité. Il lança un nouveau regard à la table de Yongguk, voyant que celui-ci avait disparu, puis il termina son assiette pour ensuite allé prendre l'air. Il commençait à en avoir marre d'être ici.

  • Jinny, tu dois rester ici, c'est la tradition, lui dit sa mère, un mouchoir dans la main.

  • J'l'emmerde la tradition.

Il quitta la maison funéraire les mains dans les poches de son pantalon de costume. Ses chaussures n'étaient absolument pas confortables alors une fois la grande rue descendue, il coupa par la plage et retira les derbies en cuire. Il s'arrêta dans une supérette de bord de plage où il acheta un pack de OB light, toujours pieds nus. Reconnaissant son costume de deuil la caissière lui offrit ses bières ainsi que ses condoléances avant de le regarder retourner sur la plage. Il faisait peine à voir.

Il mit du temps, mais quelques minutes plus tard Jinhwan pénétrait dans la maison de son enfance. Demeure déserte hors saison puis louée ou utilisée par la famille lors de vacances. Il ne verrouilla pas derrière lui, pensant partir d'ici quelques heures quand il aura trouvé ses réponses. Il était à l’affût du moindre élément qui pourrait l'aider à comprendre ce qui était arrivé à Seiyeon. Mais une de ces pièces l'aiderait-elle vraiment dans cette histoire ?

Il se mit à fouiller dans les chambres mais aussi le salon, le bureau et les diverses bibliothèques. Il fini par trouver quelques albums photos auxquels il n'avait jamais prêté attention. Il en ouvrit un au hasard pour découvrir des clichés de sa sœur et lui à l'époque où ils partaient en vacances en famille. Comme une vraie famille. Il se voyait au Japon dans une salle d'arcade, dans un musée, dans un restaurant ou encore ces jardins qu'ils adoraient visiter. L'album suivant présentait des photos de carnavals ou encore des anniversaires où ils étaient conviés. Quelques photos les montraient aussi lors des cours de musique auxquels ils avaient été inscrits. C'était un peu avant Halloween 2005 : Seiyeon était au chant quand Jinhwan était à la guitare, ou piano ou bien au chant. Ils étaient un très bon duo que l'école adorait mettre en avant dans ses événements ou encore sur son site Internet. Ainsi, ils avaient été engagés par le directeur Kwon Bo-Gum pour la soirée du 29 octobre.

La soirée avait eu lieu le samedi soir dans le gymnase de l'école spécialement décoré pour l'occasion. Jinhwan et Seiyeon s'étaient tous les deux déguisés en jumeaux maléfiques. Même si Seiyeon était légèrement plus grande que son frère, leur déguisement était troublant. Quand ils arrivèrent dans le gymnase Jinhwan avait étiré un sourire à la vue de la banderole qui surplombait la scène où ils joueraient : Jinhwan et Seiyeon, les merveilleux. La scène n'était pas gigantesque mais l'école s'était donnée les moyens. Il y avait une guitare ainsi qu'un piano, deux micros ainsi que deux tabourets. Rien de plus, rien de moins. Mais la décoration était entièrement rouge et noire avec des toiles d'araignées, des cercueils et faux crânes fluorescents. Sur toute la longueur droite du gymnase : le buffet avec des plats dans le thèmes ainsi que des boissons rouges, vertes, bleues ou encore noires. Elles n'attiraient d'ailleurs pas beaucoup Jinhwan.

Il se souvenait de ce petit concert. Ils avaient joué une heure et demie, un répertoire assez restreint mais qui avait suffit pour que leurs camarades et professeurs les applaudissent longuement. Les Merveilleux avaient encore frappés. Jinhwan ne se souvenait même pas comment ils avaient hérité de ce surnom, ni même pourquoi. L'école comptait bien d'autres adeptes de la musique bien plus prodigieux qu'eux, pourtant c'est eux qui étaient en tête d'affiche, qui étaient sans arrêt dans la lumière de l'école et sous les ailes des professeurs qui les adoraient. Néanmoins Jinhwan avait rapidement compris qu'ils n'étaient pas véritablement Les Merveilleux mais plutôt La Merveilleuse.

Tout le monde au lycée connaissait Seiyeon, tous savaient qui été La Merveilleuse. C'était cette élève populaire que toutes les filles voulaient être : belle, très bonne élève, présidente de classe, capitaine de l'équipe de gym et petite-amie du lanceur de l'équipe de baseball. Elle était gentille, à l'écoute des autres et aidaient les élèves de sa classe qui avaient des difficultés.

Pendant ce temps Jinhwan vivait dans son ombre. Il n'était pas à plaindre non plus, il le savait. Mais il ne recevait pas autant de gloire que sa sœur. Il était le petit Kim que les filles s'arrachaient, plus jeunes ou plus vieilles il avait le droit à sa horde de filles qui adoraient lui écrire des poèmes ou bien des histoires dans lesquelles elles s'imaginaient en sa compagnie dans diverses situations. Il se souvint même d'une fois où il avait reçu une lettre de Mark Tuan, l'américain aux cheveux rouges de la classe d'à côté, lui avait fait passer un mot, un simple mot qui avait fait assez d'effet à Jinhwan pour qu'il comprenne qu'il n'était pas hétérouel, mais bien biuel.

À leur âge l'homoualité n'était pas très bien vue, pourtant Mark se fichait de ce que l'on disait sur lui et il entraîna Jinhwan dans le péché originel durant de longs mois. C'est à ce moment que Les Merveilleux commencèrent à disparaître. Jinhwan n'avait plus de temps pour les cours de musique et différents spectacles de l'école. Il envoyait bouler le directeur Kwon ainsi que sa sœur et partait se lover dans les bras de Mark. Il s'éloigna de Seiyeon et sa vie à l'école dégringola. Il perdit tous ses amis qui ne comprenaient pas son changement de comportement, ses absences, ses notes sur la pente descendante. Ses parents, qui en avaient assez d'être convoqués chez le directeur Kwon, le menacèrent de l'envoyer sur le continent dans un internat. Mais rien n'y fit, Jinhwan continuait à descendre, largement aidé par Mark avec qui il prenait beaucoup de plaisir.

Cependant les choses n'allaient pas en s'arrangeant puisqu'un jour la mère de Jinhwan le surprit dans une position des plus suggestives en compagnie de Mark, contre le bureau de sa chambre. Il n'y avait pas de doute : c'était la plus torride mais la plus regrettable des levrettes.

Après cette découverte, les parents de Jinhwan ne le laissèrent plus tranquilles : sa relation avec Mark devait prendre fin et il partirait dans un internat à Séoul le plus vite possible. Seulement le problème fut que les internats étaient tous complets à cette période de l'année, alors ses parents choisirent de déménager à la capitale détruisant ainsi la relation qu'ils avaient avec leurs enfants. Le tout à cause d'une histoire de bite.

Jinhwan termina sa dernière bière en même temps qu'il referma cet album photos. Il observa les cadavres de bières autour de lui avant de hausser les épaules et se relever pour poursuivre sa recherche. Il titubait un peu, rien de bien méchant mais il sentait l'alcool lui monter à la tête. Il fronça les yeux dans une grimace avant de poursuivre sa route dans la chambre qu'occupait sa sœur auparavant. Il trouva trois journaux intimes dataient de 2008/2009, 2010/2011, 2011/2012. Accompagnant ces journaux intimes : des cassettes vidéos datées et numérotées.

  • Qui utilise encore des VHS ?! Demanda-t-il, un peu soûl.

Sans avoir la réponse à sa question il quitta la chambre, les bras chargés, et retourna au salon. Maladroitement il mit une des premières cassettes dans le lecteur sous la télévision et pendant que celle-ci chargeait des images de mauvaise qualité il recherchait quelque chose à boire dans les placards de cette maison. Il trouva une bouteille de Nikka Pure Malt Black, l'ouvrit et retourna s'asseoir à même le sol pour découvrir les images.

C'était terrible de se rendre compte à quel point il ne connaissait pas sa sœur. La Merveilleuse était bien loin de l'adolescente qu'il avait sous les yeux. À cette période elle avait déjà quitté la maison familiale après une grosse dispute avec ses parents. La vidéo était tournée ici par quelqu'un que Seiyeon appelait « Mon chéri » dans un français parfait. Le couple se baladait sur l'île et la jeune femme était resplendissante. Quelques secondes plus tard Jinhwan hurla en coupant la télé dans un sursaut qui renversa la bouteille qu'il sauva rapidement. Les images suivantes n'étaient pas vraiment le genre d'image qu'il voulait voir de sa sœur. Après une longue gorgée de whisky pour oublier ce qu'il venait de voir, il changea de cassette. La laissant en fond sonore il se mit à lire les différents journaux qu'elle avait écrit. Il se rendit alors compte que Seiyeon revenait souvent ici. Au départ c'était par besoin puis c'est devenu une nécessité. Elle ne venait jamais seule, toujours accompagnée d'amis et notamment Kim Kiji ainsi que Bang Yongguk. Malgré son ivresse Jinhwan comprit que sa sœur était fiancée à Kiji depuis quelques mois et que tous les deux faisaient parti ide Yongsang-Gu, le plus grand groupe de crimes organisés du pays. Cette information fit froid dans le dos à Jinhwan qui s'endormit plus tard, ivre et épuisé au milieu d'innombrables photos, canettes de bières et VHS.

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Comments

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tt_9800 #1
Chapter 4: Chapter 4: Très intriguant!! Merci beaucoup!! ?