-       Noona… J’aurais besoin d’aide…

-       D’aide ? Pourquoi ? Un devoir ?

-       Mais non ! Juste…

Heechul soupira.

-       Je peux entrer ?

-       Oui, mais vire pas tout à l’envers !

-       Je sais, je sais…

Il entra et s’assit sur le lit de sa sœur aînée. Mordillant doucement sa lèvre inférieure, il respira profondément, incertain de pourquoi exactement il venait se confier à elle et lui demander de l’aide. Il adorait sa sœur bien sûr, mais parfois elle se montrait un peu… fermée à certains de ses problèmes.

-       Noona… il y a cette fille à l’école.

-       Bee ?

-       Oui.

-       Ok, pis ?

-       Ben… elle est, um… belle… et gentille… et…

-       Donc tu l’aimes.

-       Non ! Euh, je veux dire… enfin… j’ai un… un kick sur elle…

-       Ben c’est ça, tu l’aimes.

-       Noona !

-       Ben quoi ?

-       Ben… je sais pas quoi faire…

-       Ben dis-lui.

-       Mais non !

-       Pourquoi pas ?

-       Elle va me détester à vie !

-       Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

-       Ben… tout.

-       Mais t’es nul ! Sors de ma chambre si t’es pour être un trouillard !

Heechul soupira et sortit sans un mot. Oui, il avait peur de Bee. Non, il n’allait pas l’avouer à voix haute. Oui, il l’aimait comme il n’avait jamais aimé personne auparavant. Pour lui, Bee était la seule au monde, la seule qui soit aussi importante pour lui, la seule pour laquelle il se serait volontiers ouvert les veines pour y verser du poivre si elle le lui avait demandé. Oh, mais Bee détestait le sang. Il l’aurait fait devant autres témoins alors.

Pour lui, Bee était la perfection faite femme.

Il s’assit à son bureau dans sa chambre et prit une feuille de cartable. Peut-être qu’il ne pouvait pas le lui dire, mais peut-être pourrait-il l’écrire. L’écrire et chanter son amour en espérant que, si elle comprenait qu’il s’adressait à elle, elle ne lui en voudrait pas. Il n’avait même pas l’espoir d’être un jour aimé par elle. Il espérait juste pouvoir exprimer ses sentiments sans se faire détester.

-       Voyons voir… La nuit m’appelle, m’appelle, et le vent souffle, souffle à mes oreilles, que si un jour tu m’aperçois, tu ne… Non, c’est trop nul. Et pas assez fort… Hmm… Il n’y a à mes yeux qu’une seule personne, et j’aimerais tant que tu sois la bonne, celle qui un jour m’acceptera, celle que je prendrai dans mes bras…

Il alla se coucher vers 4h du matin sans se soucier du fait qu’il avait des cours et qu’il allait se lever vers 6h30. Ça lui importait peu. Sur la feuille gribouillée, biffée et rebiffée, couverte de graffitis incompréhensibles et de mots barrés, il pourrait enfin commencer à exprimer ses sentiments.

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-       Man t’as d’l’air d’un zombie.

-       Je me suis couché à 4h…

-       T’es con ! Pourquoi ?

-       Ah, euh… pour… enfin, j’écrivais quelque chose.

-       Ah ? Quoi ?

-       Quelque chose…

-       D’habitude tu peux rien me refuser. Pourquoi tu me le dis pas ?

-       Parce que c’est pas fini ! Je te le montrerai quand ça sera terminé.

-       Oh, ok.

Bee haussa les épaules et se concentra de nouveau sur son dessin. Heechul ne put s’empêcher de l’admirer. Elle était belle, trop mignonne, concentrée qu’elle était sur les traits de graphite qui formaient les lignes sinueuses de son œuvre. Ses yeux, bleu ce jour-là, n’étaient en rien altérés en beauté par les lentilles de contact qu’elle portait pour corriger sa vue. Elle avait peu de formes et peu de poitrine, ne put-il pas s’empêcher de remarquer, comme toujours, mais cela importait peu. Il ne la voulait pas pour son corps. Il la voulait pour ce qu’elle était. Pour son sourire et son rire adorable. Pour sa personnalité et sa liberté d’expression. Pour son art et ce qu’elle en faisait. Pour son âme et pour son cœur.

L’enveloppe charnelle était bien peu importante comparée au reste. À tout ce qu’il aimait chez elle.

Il dormit en classe, incapable de rester réveillé. Même réveillé, il n’arrivait qu’à penser à cette feuille lignée qui l’attendait chez lui, sur son bureau, prête à recevoir tous les mots qu’il ne pouvait dire à voix haute. Alors il dormit, rêva d’elle, et de son sourire.

Quand il revint chez lui, il ouvrit la porte de sa chambre, se dirigea vers son bureau, s’apprêta à s’y asseoir pour continuer à écrire… quand il remarqua que la feuille avait disparu. Paniqué, il se mit à fouiller sa chambre frénétiquement. Ne trouvant rien, il alla se jeter à la cuisine, descendant les escaliers à toute vitesse pour aboutir à côté de sa mère.

-       Umma ? T’aurais pas vu ma feuille ?

-       Quelle feuille ?

-       Ben, ma chanson…

-       Oh, la feuille sur ton bureau ? Je l’ai jetée, elle était toute gribouillée.

-       JETÉE ?!

-       Non, en fait, pas jetée.

Heechul s’apprêta à retrouver espoir, mais il reçut la suite comme un coup de poing au visage.

-       Pas jetée, continua sa mère. Déchiquetée.

Le pauvre adolescent cessa de respirer et retourna dans sa chambre la tête basse. Il se mordit la lèvre inférieure, s’empêchant de pleurer, mais les larmes étaient trop fortes. Il avait écrit, effacé, réécrit, effacé de nouveau des paroles, des mots provenant de son cœur, destinés à la personne qu’il aimait par-dessus tout. Seulement pour voir le tout disparaître dans la déchiqueteuse. Il soupira et se décida à aller fouiller le bac. Peut-être qu’il pourrait trouver les bandelettes de sa chanson parmi les innombrables autres feuilles déchiquetées.

Il redescendit, se dirigea vers le bureau de sa mère. Il trouva rapidement la déchiqueteuse et sentit ses larmes revenir quand il vit que sa mère, à son habitude, avait non seulement déchiqueté les feuilles mais les avait ensuite coupées en minuscules confettis. Désespéré, il plongea les mains dans le bac – après avoir éteint les couteaux, bien sûr – et commença son laborieux travail de récupération.

Cela lui prit huit heures.

Il sauta le souper, ignora les signaux de son corps réclamant un peu plus de mouvement, ignora les nouveaux signaux réclamant du sommeil. Il chercha et chercha, recollant chaque morceau avec délicatesse là où les lettres se suivaient correctement quand il trouvait un morceau, et au bout de huit longues heures de recherche, il se retrouva finalement devant sa feuille presque entièrement constituée de papier collant transparent.

Il était fatigué, crampé sur place, affamé, mais soulagé. Il avait retrouvé sa feuille. Un sourire apparut sur ses lèvres et il retourna à sa chambre sans prendre le temps de manger. Saisissant un crayon et une nouvelle feuille de papier, il poursuivit sa création.

Quand il alla se coucher, vers 3h du matin, il prit bien soin de dissimuler ses feuilles dans un cartable avant de les mettre dans un tiroir. Il s’allongea, ferma les yeux et sourit doucement.

-       Je t’aime, Bee. Je t’aime, et j’aimerais pouvoir te le dire. Mais pas si ça me coûte ta présence à mes côtés…

Il soupira doucement.

-       Je t’aime…