Chapitre 6 :

 

Ce matin était une matinée particulièrement chaude. Il n’était que 10h mais tous les employés étaient déjà en t-shirt. La clientèle était timide pour un samedi matin. Aussi j’en profitais pour faire du rangement, laissant Minhyuk et Sungjin, bien plus qualifié que moi s’occuper des quelques réparations. Je balayais le parvis du hangar quand j’entendis une voiture se garer. Je reconnus tout de suite la voiture du propriétaire, Mr. Hwang. J’allais poser mon balai pour aller à sa rencontre. Je m’inclinais avec respect tandis qu’il descendait de sa voiture. Il était un petit homme sec, de la cinquantaine. Malgré son air sévère, il était un patron bienveillant. Il me fit signe de le suivre et rassembla tous les employés.

     - J’ai une annonce à faire, dit-il avant de s’éclaircir la voix. J’ai décidé de prendre un nouvel employé à l’essai. Il vient ce matin, et devrait arriver d’une minute à l’autre. Je m’entretiendrais avec lui, puis je vous chargerais de lui montrer le fonctionnement du garage.

Nous hochâmes la tête et il s’éclipsa dans son bureau.

     - C’est pas trop tôt, lança Sungjin, du renfort ne nous feras pas de mal.

Minhyuk et moi acquiescèrent. Il est vrai que certains jours étaient tellement rempli que nous devions rester plusieurs heures supplémentaires pour pouvoir finir notre travail à temps. J’avais hâte de voir à quoi allait ressembler le nouveau.  En attendant, j’allais chercher une bouteille d’eau pour me désaltérer, l’atmosphère du garage était étouffante.

Tout le  monde s’était remis au travail quand nous entendîmes un lourd bruit de moteur. Je me pressais à l’entrée et aperçu une énorme moto se garer devant le garage. Je manquais de m’étouffer. Il était rare que nous ayons affaire à de tels bolides. Celui-ci devait valoir une petite fortune. Je m’avançais vers l’homme qui la chevauchait, et le saluait avec politesse. Ce dernier descendit de son véhicule sans même m’adresser un regard. Il portait toujours son casque, ainsi je ne savais pas à qui j’avais à faire.

      - Vous êtes arrivé ! fis la voix de Mr. Hwang.

Je le dévisageais avec incompréhension. Le connaissait-il ? Je me retournais vers le propriétaire de la moto qui avait maintenant enlevé son casque. Il était jeune, il était beau, il était…

Lee Byunghun ?! Je m’étouffais de nouveau et il me regarda avec autant d’incrédulité que celle dont je faisais preuve. Il semblait aussi surpris que moi de le voir. Que faisait-il ici bon sang ?! N’avait-il pas un mécanicien personnel ou je ne sais quoi pour s’occuper de son confort ?

Mr. Hwang l’invita à le suivre et l’entraina dans le garage. Je n’en revenais tellement pas que je restais figée un moment. Se pourrait-il que ?... « Impossible… Il ne pourrait pas être… »

     - Le nouvel apprenti, annonça Mr. Hwang aux employés.

«  Impossible… impossible » me répétais-je.

Je le dévisageais de la tête au pied. Il arborait une paire de bottines noire, un jean et une veste en cuir parfaitement taillée. Ses cheveux décolorés encadraient parfaitement son visage de prétentieux. Il n’avait ni le look ni la carrure pour travailler ici. Il se rendit compte que je le dévisageais et arqua un sourcil. Je détournais le regard, agacée. Je ne savais pas à quoi il jouait en voulant travailler ici, alors que tout sur lui criait qu’il était plein aux as.

Quand notre patron eut fini de le présenter, il l’entraina dans son bureau.

     - Il n’a pas l’air d’être du métier, nous fit remarquer Minhyuk dès que nous furent seuls.

«  Si seulement tu savais » pensais-je. Je décidais de ne pas lui en parler dès maintenant. Tout d’abord parce que ce n’était ni le lieu ni l’endroit pour les confessions intimes, puis parce que j’attendais de voir comment il allait se comporter ici.  Il avait quand même le droit à sa maigre chance.

Je me remis au travail, et Mr. Hwang sortit quelques minutes plus tard avec L.joe. Ce dernier buvait ses paroles et inclinais sa tête avec respect toutes les cinq minutes. Je ne sais pas à quoi il jouait, mais ce n’était définitivement le Lee Byunghun que je connaissais.

Je terminais de changer un pneu quand le propriétaire m’interpella.

      - HyeRin, tu vas faire faire le tour du propriétaire à Byunghun, si tu as besoin de moi je serais dans mon bureau !

«  Ben voyons, il fallait que ça tombe sur moi » pensais-je. Je soupirais mais il était partit avant que j’ai le temps de protester. Je lançais un regard à L.joe qui affichait le même air blasé que d’habitude. Je lui fis un signe de la tête pour l’inviter à me suivre. Je l’amenais d’abord dans la salle du fond.

      - Ici c’est les vestiaires, commentais-je.

J’ouvris un casier vide.

      - Tu n’auras qu’à prendre ce casier, lui dis-je, pour ranger tes affaires.

J’attrapais un bleu de travail neuf et je lui lançais. Il l’attrapait et le regarda avec dédain. Cette vue m’arracha un sourire que je réprimais de mon mieux. Néanmoins il ne fit aucune réflexion. Je me demandais jusqu’à quel point il allait aller dans son petit jeu.

       - La porte au fond des vestiaires, c’est le cagibi où on range les produits d’entretien et tout ce qui vas avec.

Je l’entrainais hors des vestiaires et pris la porte de droite.

      - Ici c’est le petit atelier, on y range les outils, et on y répare les petites pièces.

Il hocha la tête, toujours distraitement. Je soupirais, et le ramenait dans le hangar.

      - Ici c’est le hangar, ou l’atelier principal.

Nous passâmes devant Minhyuk qui me lança un regard interrogateur. J’haussais les épaules et levais les yeux au ciel, sarcastiquement. Il sourit. Même si il ne le connaissait pas, il n’y avait pas besoin d’être un expert pour voir qu’il n’allait pas dans le décor. Je le conduisis ensuite à l’extérieur et contourna la station-service qui n’avait pas besoin d’être commentée.

Sur le côté du hangar se trouvait une autre aire.

      - Ici on lave les voitures.

      - On ? demanda Byunghun, sortant enfin de son mutisme.

      - Oui, nous, les employés.

      - A l’époque où tout le monde utilise un Lavomatic vous nettoyez à la main ?

     - C’est exact, fis-je sans me démonter, le patron trouve que ce n’est pas rentable. D’autres questions ? On a tout visité.

Il haussa les épaules et j’en conclu que c’était négatif, ou alors qu’il n’en avait juste rien à faire. Nous revinrent au hangar.

      - Tu t’y connais en mécanique ? demandais-je

      - J’ai une tête à m’y connaitre ? rétorqua-t-il

Ca y est, le vrai Byunghun était de retour. Je me m’abstins de toute réponse sarcastique et misait sur le professionnel.

      - Je vois. Etant donné que le ménage à déjà été fait il va falloir te trouver que quelque chose à faire…

Je hélais Sungjin et lui confia la tache de lui montrer deux ou trois trucs. Je sentais qu’il allait plus nous ralentir dans notre travail qu’autre chose. Mon collègue, d’une amabilité légendaire, entreprit de lui expliquer les basiques de la révision. Enfin débarrassée de ce poids, je pus continuer mon travail  tranquillement.

Entre deux pneus changés, je lançais des coups d’œil en sa direction. Il  écoutait patiemment les indications de Sungjin et ne semblait pas trop mal s’en sortir. Bien sûr il n’avait pas revêtu le bleu de travail que je lui avais donné, et je sentais que son t-shirt blanc de créateur n’allait pas faire long feu.

C’était la première fois que je prenais le temps de l’observer. D’habitude si hautain, il paraissait ici innocent, tel un écolier modèle. Je savais que ce n’était qu’une illusion néanmoins, et j’attendais le moment où il allait montrer son vrai visage. Je comprenais pourquoi les filles du lycée étaient raides dingues de lui, sa beauté était telle qu’il rayonnait. Moi-même étais bien obligée de l’admettre. «  Dommage que son caractère vienne tout gâcher » pensais-je.

Une mèche vint se coller sur mon visage transpirant. Je rassemblais mes cheveux en queue de cheval et m’essuyait le front, contemplant ma tâche achevée.

      - Merde ! Désolé… entendis-je

Je me retournais et vis Sungjin se confondre en excuse devant Byunghun. Ce dernier arborait désormais une tâche de cambouis en plein milieu de son t-shirt. Je ne puis m’empêcher de pouffer. Il ne dit pas un mot, mais je vis son cou se couvrir de plaques rouges. Je n’aimerais pas être à la place de mon collègue en ce moment. A mon grand étonnement, L.joe tourna simplement les talons et se dirigea vers les vestiaires. Sungjin lui, était tout rouge.

      - J’ai pas fait exprès, dit-il quand il vit que je le regardais, je lui montrais la vidange et ça à giclé !

      - Ça lui apprendra à ne pas porter de blouse, le rassurais-je en lui adressant un clin d’œil.

Il m’adressa un sourire gêné. Au moins il avait évité la colère légendaire du prince Lee.

Minhyuk m’interpela pour me dire qu’il était l’heure de notre pause déjeuné.

     - Je vais chercher mes affaires, le prévins-je.

Je pénétrais dans le vestiaire et vis L.joe face au lavabo. Faisant comme si de rien était, j’ouvris machinalement mon casier pour ramasser mon sac. Je vis qu’il était en train de frotter énergiquement la tâche. Il pouvait toujours essayer, son t-shirt était maintenant bon pour la poubelle.

      - Je t’avais donné un bleu de travail, dis-je, avec une once de sarcasme dans la voix.

J’aurais dû me taire,  mais c’était plus fort que moi. Il tourna lentement la tête vers moi. Je déglutis.

      - Tu sais que ce t-shirt doit valoir au moins trois fois plus que ton misérable salaire, dit-il calmement.

Il s’avança lentement vers moi. «  Bravo ma vieille, maintenant il va se venger sur toi, t’es contente ?! » me maudissais-je intérieurement.

      - Je pourrais ruiner ta vie en un claquement de doigt si l'envie m'en passait, alors à ta place je la ramènerais pas, continua-t-il en se rapprochant.

Je reculais d’un pas mais mon dos touchait maintenant mon casier.

      - Ah, et autre chose.

Il posa sa main sur le casier, juste à côté de ma tête. Son visage était tellement proche que je pouvais sentir son souffle sur mon front. Je détournais le regard.

      - Si j’étais toi, dit-il d’un ton menaçant, je ne commettrais pas l’erreur de faire courir l’information que je travaille ici.

Son regard froid me glaça le sang.

      -   A moins que tu ne veuilles que ta condition devienne encore plus pitoyable.

Puis, avant que je ne puisse ajouter quoi que ce soit, il tourna les talons, passa sa veste par-dessus son épaule et sortit. Je mis un moment avant de revenir à la réalité et de calmer mon rythme cardiaque. Bon sang, ce mec était vraiment imprévisible. C’était quoi son numéro d’intimidation ? Qu’il le garde pour lui, je n’avais aucune envie d’être mêlé  avec quoi que ce soit le concernant.

Retrouvant la possession de ma motricité, je ramassais mon sac et relevais la tête fièrement. Au diable Lee Byunghun, je n’allais pas me laisser impressionner. Je rejoignis Minhyuk qui m’attendait à l’entrée.

      - T’en as mis du temps !

      - Oui, désolé…

       - T’en fais une tête ! remarqua mon meilleur ami, ça va ?

J’acquiesçais, et il n’insista pas plus. Nous sortîmes du hangar et tombèrent face à L.joe qui préparais sa moto. Il agit comme si rien ne s’était passé, et nous ignora royalement, à mon grand soulagement.

 

       - Aller, dis-moi ce qui se passe, insista Minhyuk quand nous fûmes plus éloignés.

       - Mais rien je te dis.

Je refusais de parler, à le connaitre il en ferait tout une histoire.

      - Je te connais, dit-il, en plus tu as accéléré le pas quand on est passé à côté du nouveau. Tu le connais, c’est ça ?

      - Mais non, c’est rien, laisse tombé.

      - Il est quand même bizarre, tout de même, ce ByungJun…

      - Byunghun, Lee Byunghun, le corrigeais-je automatiquement.

Il me regarda avec un air qui avait l’air de dire « me la fais pas à moi ». Je venais de me vendre toute seule.

       - Ok ok, admis-je en levant les mains, il se pourrait que je le connaisse.

Je lui racontais tout ce que je savais sur lui, en omettant bien sûr de lui raconter l’évènement des vestiaires. J’adorais Minhyuk, mais il était mille fois trop protecteur. Nous étions arrivés dans un petit restaurant le temps que je finisse de déballer mon récit. Nous soupirâmes en pénétrant dans la fraiche atmosphère de la salle.

      - Je vois, dit Minhyuk en se grattant le menton. En gros c’est un gosse de riche à mauvais caractère.

      - Ca le résume bien, confirmais-je en riant. De toute façon, on n’aura pas à le supporter longtemps, je paris tout ce que tu veux qu’il ne reviendra pas demain ! Sa majesté ne risquerait pas un autre de ses t-shirts haute couture à l’épreuve de la saleté.

     - Tu crois ? m’interrogea Minhyuk en haussant un sourcil. S’il vient ici c’est qu’il a besoin d’un travail, non ?

J’haussais les épaules. A vrai dire, je n’arrivais pas à comprendre la raison de sa venue. J’enfournais un maki dans ma bouche et le mastiquait machinalement. Ce n’était surement pas pour l’argent qu’il le faisait. Là-dessus, je n’avais aucun doute. Ce n’était pas non plus pour se donner un style, parce que sinon il ne m’aurait pas défendu de faire courir la rumeur. La seule chose dont j’étais sûre, c’est qu’il avait très vite déchanter.

 

L’après-midi se déroula sans encombre. J’évitais de croiser le regard de Byunghun, et il en fit de même. Minhyuk et moi attendaient l’appel du Moulin Bleu, mais nous n’eurent aucune réponse, ce qui nous rendit anxieux. Mais après tout ça ne faisait qu’un jour, ils appelleraient sans doute plus tardivement.

A la fin de la journée, notre patron s’entretint avec L.joe. J’espérais secrètement qu’il ne le garde pas, voir cet énergumène au lycée me suffisait amplement.

Je les observais du coin de l’œil, quand ils sortirent du bureau de Mr. Hwang.

      - Byunghun a fait preuve de beaucoup de volonté et d’investissement aujourd’hui, commença-t-il

«  Ben voyons » levais-je les yeux au ciel.

      - C’est pourquoi j’ai décidé de l’intégrer à notre équipe d’employés pendant un mois à l’essai, j’espère que vous saurez développer avec lui de bonne relation entre collègues.

Et merde.