Une nouvelle année d’études commençait pour KyeongHee, et pas n’importe laquelle. En effet, elle serait maintenant bientôt externe dans un hôpital de Séoul. Ses précédentes années de médecine n’avaient pas été des plus faciles, mais sa motivation et son travail avaient su la mener à de bons résultats. En somme, elle n’avait pas démérité, et c’est grâce à ses efforts qu’elle mettait maintenant un bon pied dans le domaine médical, en rejoignant une équipe hospitalière dans le cadre de ses études. C’est donc toute joyeuse qu’elle se leva ce matin-là en vue de se préparer pour aller travailler à l’hôpital. C’était une bien belle journée. Soleil radieux, brise fraîche mais agréable, l’odeur des cerisiers en fleurs, tout était là pour que rien ne vienne entraver l’humeur de KyeongHee. En sortant de l’immeuble où elle louait un appartement, elle s’arrêta quelques instants pour vérifier que toutes les affaires dont elle avait besoin étaient dans son sac. Puis, elle respira l’air frais, esquissa un sourire et d’un pas ferme et décidé, se mit en route le visage rayonnant.

     Elle se trouvait maintenant devant les portes de l’hôpital. Elle hésitait tout à coup à les franchir, car elle sentait un sentiment étrange, qui n’était pas là en sortant de chez elle, poindre en elle, et plus particulièrement dans son estomac. Ce sentiment ne fit que s’accroître tout le temps qu’elle resta figée devant le bâtiment, jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’il s’agissait d’anxiété. Elle avait soudainement peur de faire mauvaise impression, ce qui n’était jamais une bonne chose. Elle imaginait désormais toutes sortes de situations ridicules pouvant arriver à l’intérieur quand elle se présenterait, mais grâce à son contrôle de soi, elle réussit à raisonner et à se ressaisir. Elle chassa toutes ses pensées néfastes et monta les quelques marches qui menaient aux doubles portes de l’hôpital. Elle voulut tirer l’une d’elles, mais elle refusa d’obéir. Elle insista plus fort, puis tira avec ses deux mains, mais rien n’y pu faire. Tout en essayant encore et encore, elle commença à s’interroger sur la raison de ces portes fermées. La panique la gagna bientôt, se demandant si c’était la bonne entrée, ou bien si elle s’était trompée d’heure. Elle leva ses yeux de la poignée à la vitre pour tenter d’entrevoir quelqu’un à l’intérieur. Elle se stoppa net et se mit à soupirer tout en souriant, soulagée. Elle venait seulement de lire la pancarte « pousser » collée sur la porte.

     Sa première journée se passa différemment de ce qu’elle avait prévu. Elle pensait que tout irait pour le mieux, cependant la réalité fut tout autre. En effet, le personnel de l’hôpital ne fut pas aussi attentionné que ce qu’elle s’était imaginé envers de nouvelles recrues, les médecins furent assez froids, et les infirmières indifférentes à lui expliquer le rôle qu’elle tiendrait en tant qu’externe. Bref, à l’heure du déjeuner, elle était toujours dans le brouillard sur ce qu’elle devait faire. L’accueil l’avait dirigée vers le secrétariat, qui l’avait envoyée, après avoir rempli des formulaires administratifs, dans le service de son tuteur. Mais celui-ci n’était alors pas encore arrivé, puisqu’il s’agissait d’un médecin qui ne commençait son service qu’à 10h, et il n’était que 9h. Une infirmière lui indiqua une salle d’attente où d’autres externes attendaient également leurs tuteurs. Elle put discuter avec ces autres étudiants qui se trouvaient dans le même cas qu’elle. Ils étaient une quinzaine, seize pour être exact, à attendre. Enfin, les médecins en charge des externes arrivèrent. Ils avaient chacun sous leur responsabilité quatre externes. Ils appelèrent donc chacun les étudiants dont ils devraient s’occuper pendant toute la durée de l’externat. Le tuteur de KyeongHee fut le dernier à arriver. En voyant les trois premiers, elle était à la fois rassurée et inquiète. Rassurée, car ils avaient tous eu l’air d’être investis dans leur rôle de tuteur ; Inquiète, car elle espérait que le sien leur serait semblable, mais au bout de trente minutes d’attente supplémentaire par rapport à l’heure prévue, elle commençait à penser que son tuteur ne devait pas être très intéressé par ses étudiants. Là-dessus, elle ne se trompa point. Son tuteur, un médecin d’une cinquantaine d’années, marmonnait dans la barbe qu’il n’avait pas lorsqu’il s’adressait aux externes, et parlait fort quand il s’adressait aux infirmières, flirtant avec elles au passage, tout en employant un langage familier et même parfois vulgaire. Tout ce qu’il s’efforça à formuler clairement aux quatre étudiants qu’il avait en charge fut de le suivre et d’observer jusqu’à la fin de la matinée. Dans les chambres des patients, le docteur ne leur adressait quasiment aucune parole, préférant ricaner avec les infirmières. La matinée de KyeongHee se passa ainsi, devant déjà supporter son tuteur qu’elle n’appréciait guère.

     Ainsi, à l’heure du déjeuner, elle alla manger à la cafétéria avec les autres étudiants de son groupe. Il y avait deux garçons et une fille. Elle leur avait parlé brièvement dans la salle d’attente et semblait les apprécier. Seulement une fois à la cantine, la fille rejoignit deux autres amies, également externes. En les voyant toutes les trois, elles paraissaient d’un groupe de filles plutôt superficielles. Restaient les deux garçons. Le plus petit avait des lunettes en plastique noir épaisses et s’isolat tout seul du groupe. Il avait l’air imbu de lui-même, parlait avec un air condescendant, et avait amené avec lui ses cours qu’il révisait déjà. Enfin, le dernier externe de son groupe était grand et fin. Il alla lui aussi rejoindre un ami. KyeongHee s’étonna de le voir en études de médecine, car il ressemblait davantage à un « petit branleur ». Elle se retrouva donc toute seule avec son plateau. Fort heureusement, elle avait repéré les autres externes qu’elle avait vus plus tôt et leur demanda si elle pouvait s’installer à leur table. Ils l’accueillirent avec enthousiasme. Au cours du repas, elle écouta plus qu’elle ne parla et constata que son tuteur était vraiment le pire. Tous avaient l’air ravi et semblaient savoir ce qui les attendait, alors que KyeongHee n’en avait strictement aucune idée.

     Après le repas, son groupe ne devait plus suivre le docteur Choi car on leur avait signalé qu’ils seraient chacun rattachés à un interne. Le docteur Choi restait leur tuteur et responsable, mais les étudiants étaient guidés individuellement par un interne qu’ils assisteraient. De nouveau, KyeongHee se trouva dans la même salle d’attente qu’en début de matinée, en compagnie de ses camarades. Soudain, la porte s’ouvrit et fit place à trois jeunes personnes, deux hommes et une femme. Ils étaient tous trois vêtus de blanc, mais un des deux hommes se démarquait car il ne portait pas de blouse, seulement son uniforme hospitalier dans la poche duquel était placé son stéthoscope. Il tenait dans sa main droite un écritoire. En outre, il avait un sourire qui s’étendait de son oreille droite à son oreille gauche, révélant ainsi toutes ses dents, et Dieu sait combien il en avait ! C’est lui qui avait ouvert la porte, en la poussant encore riant avec ses deux collègues, et il semblait avoir illuminé la pièce entière en entrant. Il prit la parole, se présenta sous le nom de Jang Dongwoo et expliqua à tout le monde qu’ils étaient les internes qui auraient en charge chacun un étudiant. Il ne perdit pas plus de temps et attribua les externes à leurs séniors avec une voix étrangement douce par rapport à son visage assez dur lorsqu’il ne souriait pas.

     ― KyeongHee, appela-t-il. Elle fit un signe de la main pour indiquer que c’était elle. Tu seras avec moi.

     KyeongHee fut surprise à cette annonce, mais néanmoins contente. « Enfin ! Il y avait une justice dans ce monde », se dit-elle. Et s’il fallait qu’elle eût le docteur Choi comme tuteur pour avoir ce Dongwoo comme sénior, alors cela lui allait parfaitement.

     ― Bien, KyeongHee alors. Tu me suis ? Demanda Dongwoo en même temps que ceux appelés sortaient et que les autres continuaient d’attendre qu’on vienne les chercher. Je me doute que tu dois être un peu perdue avec le docteur Choi. Je l’ai eu aussi comme tuteur. Avec lui, il faut savoir se débrouiller seul, mais heureusement il y a des internes pour t’épauler, en l’occurrence moi, dit-il en souriant aussi bien avec ses yeux qu’avec sa bouche. Je dois aller voir certains patients, je vais te faire une visite en même temps. Si tu as des questions, n’hésite pas. Ah, et… tu peux me tutoyer et m’appeler Dongwoo, on a presque le même âge après tout.

     Aux côtés de Dongwoo, la journée sembla défiler en un rien de temps. Si bien qu’une fois chez elle, KyeongHee se remémora tout ce qu’il s’était passé. La matinée ne s’était pas déroulée comme elle l’avait espérée, mais l’après-midi avait dépassé ses attentes. Et voilà maintenant qu’un sourire timide se dessinait sur son visage. Elle avait hâte d’être au lendemain.

     Les semaines suivantes furent épuisantes tant par la quantité de travail que devait fournir KyeongHee, que par le nombre d’heures qu’elle faisait à l’hôpital. Néanmoins, grâce à Dongwoo, tout était plus supportable. Il semblait avoir une aura autour de lui qui s’intensifiait quand il souriait de toutes ses dents ou qu’il faisait entendre son rire si spécial et contagieux. Elle savait déjà qu’elle appréciait beaucoup la compagnie de Dongwoo, mais elle ne se rendait pas compte qu’elle était plus distraite, plus légère et aussi un peu plus réservée ces derniers temps quand il était proche d’elle. Cependant, la personnalité de Dongwoo faisait qu’on était immédiatement à l’aise avec lui et qu’on arrivait à être soi-même. Ce que KyeongHee trouvait étrange, c’est que plusieurs fois, on lui avait fait la remarque qu’elle semblait être sur un nuage, car il est vrai qu’elle rêvait beaucoup. Elle attribuait cela à la fatigue et répondait simplement : « je crois que je ne dors pas assez ». Évidemment, c’était faux ! On aura bien sûr deviné que KyeongHee avait un faible pour son sénior.

     Une rencontre allait pourtant tout changer dans les sentiments qu’éprouvait KyeongHee. En effet, un lundi soir, il devait être approximativement 20h, Dongwoo et KyeongHee eurent un moment de répit et s’installèrent dans la salle commune du personnel où se trouvaient des distributeurs de boissons et d’en-cas.

     ― Qu’est-ce que tu prends ? Un coca ? Demanda Dongwoo à KyeongHee par-dessus son épaule, sa main reposant sur la vitre du distributeur de boissons.

     ― Hmm… non, j’en ai un peu marre des boissons qu’il y a. J’en ai pas très envie. Par contre je veux bien des madeleines, s’il y a, répondit la jeune fille après avoir réfléchi quelques instants.

     ― Alors, prononça l’interne à lui-même en allongeant la fin du mot et en se mettant face au deuxième distributeur.

     Il cherchait les madeleines.

     ― Non, désolé, il n’y en a pas aujourd’hui.

     ― Oh, se lamenta KyeongHee, j’en aurais bien pris. Bon, c’est pas grave, je ne vais rien prendre.

     ― Tu disais que tu avais faim. Si tu veux vraiment des madeleines, tu peux toujours aller à la supérette d’à côté. Et puis il y a d’autres boissons là-bas aussi, rétorqua Dongwoo.

     KyeongHee ne laissa échapper qu’un malheureux « ah ». Dongwoo reprit de plus belle.

     ― Allez, ne fait pas ta flemmarde, tu verras, on trouve de tout là-bas. J’y vais avec toi si tu veux, comme ça je prendrais aussi quelque chose à grignoter.

     ― Bon, d’accord… se décida KyeongHee en tentant de cacher secrètement sa joie.

     Ils marchaient dans les couloirs en direction de la sortie quand une infirmière les interpela.

     ― M. Jang ! Ah, M. Jang ! On vous cherche, c’est pour un patient qui vous demande, M. Hwang, chambre 407.

     ― Ça ne peut pas attendre dix minutes ? L’infirmière secoua négativement la tête. Bon, euh… très bien, j’arrive. Puis, il se tourna pour s’adresser à KyeongHee. Vas-y toute seule, c’est vraiment juste à côté en sortant par la porte Ouest. Tu me prends des sablés et un bubble tea. Et sur ce, il partit pour la chambre 407.

     Sur ce revirement de situation, KyeongHee grommela intérieurement. Elle arriva à la porte Ouest, porte qu’elle empruntait rarement et qu’elle ne connaissait donc pas très bien. Une fois dehors, elle ne savait s’il fallait partir à droite ou à gauche. Dongwoo lui avait dit que c’était juste à côté. Elle devait donc logiquement voir la supérette de là où elle se trouvait. Elle regarda à droite mais ne vit que des boutiques. Elle regarda à gauche et vit une enseigne qui portait le nom « Super-K-Mart ». Elle en déduisit que ce devait être le magasin qu’elle recherchait. Elle entra et entendit une musique d’un groupe de Kpop qu’elle ne connaissait pas mais qui était en vogue et qui passait en boucle dans beaucoup de magasins. En ce qui concerne la supérette, elle était tout à fait classique. De taille assez réduite, elle offrait tout de même un bon panel de produits et rien ne devait manquer. Il y avait actuellement quelques clients. Elle ne perdit pas de temps pour choisir les produits qu’elle était venue acheter. Elle trouva les madeleines qu’elle voulait et les sablés de Dongwoo. Puis, elle se mit à la recherche du bubble tea. Elle tournait en rond sans en trouver. Elle se décida à questionner un employé, mais n’en trouva pas en rayon. En fait, le seul qui soit présent était le caissier. Malheureusement, les quelques clients qui étaient venus faire leurs courses de dernière minute étaient maintenant à la caisse. Ils n’étaient que trois et cela ne prendrait sans doute pas longtemps. Elle attendit donc près de la caisse, faisant mine de chercher dans les rayons alentours. Les bips incessants se turent enfin et le caissier souhaita une bonne soirée au dernier de ses clients. KyeongHee s’approcha alors de la caisse et interrogea le vendeur.

     ― Excusez-moi, bonsoir. Je cherche des bubble tea, mais j’ai fait tout le tour du magasin et je n’ai pas trouvé. Vous n’en vendez pas ?

     Le vendeur leva les yeux vers la personne qui lui posait cette question. KyeongHee, qui ne l’avait pas observé depuis qu’elle était entrée dans la supérette, réalisa que ce jeune homme était très mignon. Ses cheveux bruns retombaient impeccablement sur son front. Les petites poches présentes sous ses yeux accentuaient son côté adorable. Ajouté à cela qu’il portait un tablier, le tout était plutôt charmant et agréable à voir.

     ― Si, si. Mais il faut que je les prépare. Tous les goûts se trouvent derrière le comptoir. Lequel désirez-vous ?

     ― Euh… KyeongHee réalisa que Dongwoo ne le lui avait pas précisé. Elle décida donc de choisir arbitrairement. Je vais prendre deux bubble tea, un à la frambroise et un… à la mangue.

     ― Très bien, ça marche, déclara le vendeur tout en s’activant pour préparer les deux boissons.

     Après environ deux minutes d’attente que KyeongHee avait passées, subjuguée, à observer le beau vendeur, celui-ci lui tendit les boissons. Il afficha un grand sourire qui révéla sa gencive supérieure.

     ― Et voilà !

     KyeongHee prit les boissons et effleura les mains du vendeur. Ne sachant où regarder, elle chercha quelque chose à fixer autre que les yeux du garçon qu’elle n’était pas en état d’affronter, et posa son regard sur son badge, où était inscrite la mention suivante : « SungYeol est à votre service ».

     SungYeol le vendeur proposa de mettre tous les produits de KyeongHee dans un sac cartonné pour faciliter leur transport. Elle accepta, paya et partit. Elle se dirigeait vers la porte automatique quand elle entendit qu’on l’appelait.

     ― Mademoiselle KyeongHee !

     Surprise,  elle se retourna pour voir d’où venait cette voix mais ne vit personne d’autre que le caissier.

     ― Vous avez oublié votre sac, prononça le vendeur tout en contournant la caisse et en apportant ledit sac à KyeongHee.

     ― Ah, euh… merci, répondit-elle sans trop comprendre ce qu’il se passait.

     Il lui tendit le sac, l’air amusé. KyeongHee sourit timidement. Revenue à ses esprits, elle se demanda comment il connaissait son prénom. Est-ce que par hasard ils se connaissaient ? Elle ne pouvait pas partir sans lui demander.

     ― Pardon mais… comment connaissez-vous mon prénom ? Est-ce qu’on se connait ? Demanda-t-elle.

     ― Non, pas du tout, c’est juste écrit sur votre badge.

     KyeongHee baissa la tête instinctivement pour regarder son badge. Elle avait oublié, en regardant celui du vendeur, qu’elle portait également le sien.

     ― Alors comme ça vous êtes médecin ? Remarquez, ça se voit à votre tenue, dit-il en souriant.

     ― Ah oui, enfin je ne suis pas tout à fait médecin, je suis externe.

     ― Ah, d’accord. C’est la première fois que je vous vois, vous êtes nouvelle ? Il y a pas mal d’employés de l’hôpital qui viennent ici pendant leur pause, ou le soir après le travail pour faire leurs courses.

     ― Oui, ça fait trois semaines que j’ai commencé. Je ne savais pas que cette supérette était le repère des médecins, plaisanta-t-elle.

     ― Et pourtant si ! Renchérit-il.

     Puis, un silence s’installa.

     ― Bon, je vais y aller, ma pause va se terminer.

     Et là-dessus elle retourna à l’hôpital. Elle retrouva Dongwoo dans la salle commune et mangèrent ensemble ce qu’elle avait acheté.

     ― Wouah génial ! S’exclama-t-il. T’as trop bien choisi, ça fait super longtemps que j’en ai pas bu à la mangue.

     Dongwoo entama une discussion, mais KyeongHee restait plongée dans ses pensées occupées par le vendeur du Super-K-Mart.

     Le lendemain matin, KyeongHee changea son trajet pour se rendre à l’hôpital, et au lieu d’entrer par la porte Nord, elle arriva par la porte Ouest, passant ainsi devant la supérette. Elle en profita pour jeter un coup d’œil à l’intérieur. Elle vit des employés, mais pas celui de la veille. Puis elle se souvint qu’elle l’avait vu le soir, et qu’il était normal qu’il ne soit pas là le matin.

     La journée se passa normalement. Quand arriva l’heure de la pause en soirée, KyeongHee proposa à Dongwoo de se rendre à nouveau à la supérette pour y acheter à manger. Celui-ci se porta volontaire pour y aller ou tout au moins l’y accompagner, mais KyeongHee refusa. Il semblait que depuis sa rencontre avec SungYeol, Dongwoo ne lui faisait plus aucun effet. C’était peut-être temporaire du fait de la nouveauté qu’apportait SungYeol. Nous ne saurions le dire.

     Elle était à présent dans la supérette et ne put s’empêcher d’être contente en voyant qu’elle avait bien deviné que son vendeur ne travaillait que le soir, car il était effectivement là. Une fois à la caisse, elle espérait qu’il se passerait quelque chose, à l’image du jour précédent. Il n’y eut cependant rien et elle repartit à l’hôpital bredouille, hormis avec son sac qui contenait des boissons et des biscuits. SungYeol et elle s’étaient bornés à se sourire timidement.

     Mais elle n’abandonna pas et décida d’y retourner le lendemain à la même heure. Ils échangèrent quelques mots, et elle apprit qu’il ne travaillait que le soir car il était étudiant la journée. Elle fut contente d’en apprendre un peu plus sur lui.

     Le jeudi soir, elle remit ça. Elle fut étonnée de ne pas le voir cette fois-ci, et se sentit un peu bête par la même occasion. Elle avait l’impression de le suivre, en quelque sorte. Elle se dit que c’était assez puéril de sa part et qu’elle agissait comme une adolescente. Elle acheta ce qu’elle était venue chercher et se promit de ne pas recommencer. Elle arrêta donc d’aller à la supérette pendant sa pause du soir, ni même à aucun autre moment de la journée. Elle reprit même son trajet initial pour se rendre de son appartement à l’hôpital et inversement.

     Dongwoo fut surpris de son attitude changeante et ne se gêna pas de l’interroger à ce sujet. KyeongHee, au départ prise de court, finit par répondre que si elle continuait à aller acheter un goûter tous les soirs à la supérette, non seulement sa ligne ne suivrait pas, mais en plus ses économies allaient y passer entièrement. Et c’est ainsi que KyeongHee ne remit pas les pieds au Super-K-Mart durant tout une semaine. Seulement, elle ressentait comme un vide, comme quelque chose qu’elle voulait chaque jour, mais qu’elle ne réussissait ni à comprendre ni à avoir. Parfois elle se disait « ah, je sais ! » puis se ravisait en réalisant qu’il ne s’agissait pas de ce à quoi elle avait pensé. Enfin un soir, venant de terminer sa longue journée de travail, elle se dirigeait vers la sortie de l’hôpital, toujours avec ce nœud au ventre, et toujours en ignorant sa cause. En arrivant à la porte Nord, elle vit que celle-ci était en panne et ne pouvait par conséquent être utilisée. La sortie Ouest était alors la mieux située par rapport à son trajet. Une fois dans la rue, elle passa devant la supérette et s’arrêta quelques instants pour l’observer avant de reprendre son chemin. Elle ne fit cependant que peu de pas, car elle entendit qu’on appelait son nom. Il n’y avait pourtant personne ni derrière elle, ni sur le trottoir d’en face. Elle haussa les épaules en s’apprêtant à repartir, mais elle entendit de nouveau son nom, et c’est à ce moment qu’elle vit SungYeol sortir d’une allée à la fois perpendiculaire à la route et longeant la supérette. C’était vraisemblablement par là qu’on amenait les produits du magasin à sa réserve. SungYeol traversa la route déserte à cette heure de la soirée, étant donné qu’il était 22h, et rejoignit KyeongHee. Il portait son uniforme de travail, à savoir son tablier.

     ― Bonsoir, dit-il en montrant son plus beau sourire, comment ça va ? Ça fait longtemps que je ne vous ai pas vue…

     ― Bonsoir, ça va merci, et vous ? Oui, c’est parce que… j’ai eu pas mal de travail à l’hôpital, répondit-elle d’une voix peu assurée, car c’était totalement faux. Elle n’y allait pas car elle se l’était promis.

     ― Ah, je comprends. C’est dommage, j’aimais bien quand vous passiez… dit-il en détournant son regard.

     Il avait l’air un peu timide à ce moment-là. KyeongHee se demanda même s’il n’était pas en train de la draguer, mais ça lui semblait plutôt improbable.

     ― Oh mais je repasserai dès que j’en aurai la possibilité.

     ― Très bien, j’attends de vous revoir alors, mais pas le jeudi, je ne travaille pas. À la prochaine ! Dit-il en repartant vers le magasin, tout en faisant un signe de la main avec son sourire qui ne l’avait pas quitté depuis que la conversation avait commencé. Il faut que je retourne travailler.

     ― D’accord, à la prochaine, répondit KyeongHee en souriant et en agitant sa main de la même façon.

     Elle reprit sa route et se fit la réflexion qu’il travaillait vraiment tard. De plus, elle comprenait maintenant pourquoi elle ne l’avait pas vu le jeudi de la semaine précédente. En descendant les marches du métro, elle réalisa que son nœud au ventre n’était plus là. Elle en fut soulagée mais ne sut tout d’abord pas pourquoi, car elle n’avait rien fait de particulier depuis qu’elle était sortie de l’hôpital, hormis d’avoir rencontré SungYeol. SungYeol ? C’était donc ça alors, c’était SungYeol qui lui faisait cet effet. Elle était un peu troublée par cette révélation…

     Peu de temps après cette révélation, elle en eut une autre. Quelques jours après cette rencontre fortuite, Dongwoo l’accompagna à la supérette contre son gré. Une fois là-bas, elle assista à une conversation étrange. Dongwoo alla directement à la caisse où se trouvait SungYeol et lui serra la main.

     ― Hé ! Salut Dongwoo, ça faisait longtemps. Alors, comment ça va ? Demanda SungYeol.

     ― Ça va très bien, et toi ? Ouais, je sais, mais j’envoyais mon externe à ma place.

     En même temps qu’il disait ça, et comme KyeongHee arrivait à sa droite, il mit une main sur son épaule en la rapprochant de lui, et ajouta en souriant :

     ― Comment tu la trouves ? Elle est pas adorable ?

     ― Ha ha, oui, je ne savais pas que vous travailliez ensemble. Mais viens plus me voir quand même.

     KyeongHee s’éloigna tout en restant assez proche pour espionner leur discussion. Elle apprit qu’ils se connaissaient depuis longtemps et qu’ils étaient même très bons amis. Ça l’avait d’abord surprise, mais quand elle les regardait, ça ne l’étonnait pas tant que ça. Après tout, les beaux garçons traînent souvent ensemble. En retournant à l’hôpital, elle et Dongwoo parlèrent de SungYeol, mais KyeongHee était toutefois mal à l’aise d’en parler à son sénior. Elle ne savait plus trop quoi penser de tout ce qui arrivait. Elle avait envie de mieux connaître SungYeol, mais elle ne savait pas comment s’y prendre et n’oserait pas si elle ne connaissait pas un peu les sentiments de l’intéressé. Peut-être même qu’il avait déjà une copine. C’est pour cette raison qu’elle voyait en Dongwoo quelqu’un qui pouvait la renseigner, mais jamais elle ne pourrait lui demander. Elle fut tirée hors de ses pensées par la voix de Dongwoo qui lui disait ceci :

     ― Au fait, j’ai donné ton numéro à SungYeol. Tu ne m’en veux pas ? Je te préviens pour que tu ne t’étonnes pas si tu reçois un sms.

     QUOI ? Comment avait-il pu faire ça ? Elle voulut en savoir plus mais elle était restée figée en apprenant ça, et Dongwoo s’était empressé de fuir. Le soir même, chez elle, un sms d’un numéro inconnu s’afficha dans sa boîte de réception.

     Depuis, elle ne va plus au Super-K-Mart et n’y voit plus SungYeol. Pourquoi ? Parce qu’il n’y travaille plus. En revanche, elle le voit régulièrement dans ses temps libres, et pas en tant qu’ami…

FIN