Un homme est perdu dans ma rue. Un sac de voyage sur le dos, un manteau ouvert sur un pull fin en laine et un pantalon droit. Il ne sait pas où il a atterri. Je le croise au niveau du centre pour sans abris dans ma rue. Il regarde son téléphone, éteint, désespérément. Il lève les yeux quand j’arrive à son niveau. « Excuse me, would you mind if I lend your phone for a call ? I’m lost and my battery is dead. » Je reconnais les traits coréens. « Votre batterie est morte ? Où vouliez-vous vous rendre ? » M’entendant parler coréen, ses traits se figent sous la surprise. Il ouvre la bouche, la referme. Il secoue la tête, comme s’il était en plein rêve. « Vous parlez coréen ? » « Je comprens mieux que je ne parle mais oui. » Il scrute mon visage, cligne des yeux et fixe ma bouche. Je souffle, et croise les bras. « Vous avez besoin de mon aide ou non ? Je suis occupée. » Je regarde ma montre. La boulangerie va bientôt fermer. « Oui. Est-ce que je peux vous emprunter votre téléphone ? » Je le regarde, un peu méfiante. « Qu’est-ce qui me prouve que vous n’allez pas partir en courant avec ? » Il reste bouche bée. Il fronce les sourcils et propose une alternative. « Dans ce cas-là, est-ce que vous pouvez m’expliquer comment aller à St-Maur. » Avec sa prononciation, je ne suis pas sûre d’avoir compris. Je lui demande de m’épeler le nom, ce qu’il fait. « Comment êtes vous arrivé jusqu’ici ? » Il m’explique qu’il a pris le train depuis l’aéroport CDG. « Vous n’avez pas pris la bonne ligne. Il aurait fallu prendre la ligne A, la rouge. » Je lui fais signe de me suivre et me dirige vers la gare. On avance en silence. Au bout de trente secondes, je lui demande. « Qu’est-ce que vous allez faire à Saint Maur ? C’est rare que les gens sortent de Paris à part pour aller à Versailles. » Il hausse les épaules. « J’ai déjà visité une bonne partie de Paris. Demain, il y a une compétition où j’aimerais bien aller. » « Une compétition ? De quel sport ? » « D’escrime. » Je me retiens de rire. Comment est-ce qu’une telle situation peut arriver ? « Et vous avez réservé une chambre d’hôtel au moins ? » Il hoche la tête.

On arrive devant la gare. J’ai un mauvais pressentiment. Les rideaux de fer sont descendus alors qu’il est encore tôt. Il s’est passé quelque chose. Les panneaux indiquant l’arrivée des trains sont anormalement vides. « Attendez ici. » Je m’avance et lit la pire nouvelle qu’il puisse exister. Le trafic est interrompu, il y a eu un problème de signalisation suivi d’un incendie à Pantin. Je me retourne vers l’inconnu et grimace. « Je crois que ça va être compliqué pour vous. Il y a un problème, vous ne pouvez pas aller à Saint Maur sans passer par Paris et la circulation de cette ligne est bloquée. » « Comment est-ce possible ? » « Il y a eu un incendie. » Ce coup de massue abaisse sa tête. « Est-ce que vous voulez que j’appelle un taxi ? » « Je préfèrerais que vous contactiez l’hôtel plutôt. » « C’est quel hôtel ? » « Le Winston hôtel. »

Après une brève recherche internet, je compose le numéro. Je lui passe mon téléphone et patiente. Après quelques minutes d’échange, le ton monte. « Que se passe-t-il ? » « Ils ont donné ma chambre à quelqu’un d’autre vu qu’il n’arrivait pas à me contacter. » Je lui fais signe de me passer la personne. Je me rends compte que non seulement sa chambre a été cédée à un autre, mais ils ont encaissé les frais de réservation. Le problème est qu’à ce niveau, on ne peut plus rien faire. L’hôtel est blindé ainsi que ceux des alentours. Je raccroche. « Je ne peux rien faire. Cela vous dérange si je vais chercher quelque chose, la boutique est sur le point de fermer. » Il me fait comprendre qu’au point où il est, il préfère même m’accompagner.